« Se trouver un lieu d’appartenance pour co-créer ensemble et pas devoir se justifier au niveau de nos existences et de nos expériences de vie ».
Love & Rage. Voici les deux mots qui clôturaient un message publié sur les réseaux sociaux afin de diffuser une campagne d’auto-financement visant à concrétiser la création de l’Indigenous Sex Work and Art Collective (ISWAC)[1]. Love & Rage. Ces deux mots, qui mis côte-à-côte révèlent une tension et une radicalité que les membres de ce collectif par et pour des personnes issues de communautés autochtones pratiquant ou ayant pratiqué le travail du sexe à différent paliers de ses industries s’efforcent d’explorer à travers leurs actions et performances. Rassemblé.e.s pour la plupart à Montréal / Tiohtià:ke, ces personnes singulières et plurielles font mieux que prendre leur place, elles l’ont créé en 2019. L’équipe de Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures vous propose un échange à 3 voix à la suite d’un entretien mené par Noémie Boisclair le 24 août 2022 auprès d’Anita et Layla, membres d’ISWAC.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Merci beaucoup pour votre disponibilité ! Pouvez-vous nous parler de l’histoire de la création du Indigenous Sex Work and Art Collective (ISWAC) ?
Anita – De mon côté, je milite depuis plusieurs années avec les travailleuses du sexe à travers Turtle Island [aire géographique généralement qualifiée d’Amérique du Nord] et en 2019, suite à une observation, j’ai constaté qu’à Montréal / Tiohtià:ke on n’avait pas vraiment un regroupement de travailleuses du sexe autochtones. Les besoins étaient pourtant là. J’ai donc initié une rencontre avec plusieurs ami.e.s et collègues autochtones qui avaient différentes expériences, dans les industries du sexe y compris les expériences de travail du sexe qu’on dirait « de survie », incluant des échanges de services sexuels contre, par exemple, utiliser le divan de chez quelqu’un et pieuter là-bas. Donc des expériences vraiment larges. On s’est rencontré.e.s chez moi. On a décidé ensemble qu’on allait aller chercher du financement et essayer de devenir un collectif. Puis on a été créé, au départ, avec l’aide du Quebec Public Interest Research Group de l’université McGill (QIPRG)[2] dans la mesure où j’ai été récipiendaire d’une recherche communautaire d’été (summer research stipend). Cette impulsion nous a permis de pouvoir organiser notre première retraite pour devenir le Collectif Autochtone d’Art et de Travail du Sexe – Indigenous Sex Work and Art Collective (ISWAC). Au départ, notre volonté de se regrouper, c’était pour partager notre réalité, briser l’isolement, le stigma, de se créer un cercle de soutien fort et puis de, potentiellement, créer ; du moins rester dans la création selon chacune de nos forces et de ce que nous voulions faire dans la vie.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Et toi Layla, est-ce que tu as participé à la première rencontre avec Anita dès le départ ?
Layla – Oui ! Moi je n’ai pas participé à la coordination de la rencontre initiale mais j’y étais en tant que participante. J’étais aussi présente lors de la première retraite, ça a été un moment de naissance de notre collectif puis de rassemblement mais aussi de thérapie en même temps.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Merci pour vos réponses ! Pour approfondir cela, pourriez-vous nous parler de la manière dont vous portez la voix des personnes qui sont dans votre collectif au travers de vos actions et activités principales ?
Anita – Je commencerai par dire que le témoignage public, la prise de parole lors d’événements ou de conférences, de lancements, ce n’était pas notre objectif premier. Parce que notre collectif comprend des personnes faisant face à différentes luttes, au quotidien. Notre but premier c’était vraiment de se trouver un lieu d’appartenance pour co-créer ensemble et de pas devoir toujours se justifier au niveau de nos existences et de nos expériences de vie. Mais on a toujours voulu créer. La création et la prise de parole n’étaient pas prioritaires à cause de nos autres besoins qui ont dû être comblés – on en reparlera, mais il nous a fallu organiser une levée de fonds pour soutenir nos membres.
Malgré tout ça, la prise de parole est venue quand on a commencé à se joindre avec d’autres groupes comme le Comité Autonome du Travail du Sexe – Sex Work Autonomous Comittee (CATS / SWAC)[3] et qu’il devenait logique de partager notre vécu.
Layla – En effet comme le disait Anita, la prise de parole publique n’était pas l’une de nos priorités, notamment car les femmes, les personnes autochtones, mais aussi les personnes qui font partie de la diversité sexuelle, les personnes bispirituelles, sont sur-ciblées par l’institution policière, la Protection de la Jeunesse, ce qui crée un risque. Je note par exemple notre surreprésentation dans le système carcéral. Tout cela crée donc un enjeu lorsque vient l’occasion de s’identifier publiquement en tant que travailleuse du sexe et de partager notre expérience, qui est d’ailleurs souvent mélangée avec l’usage de substances et des pratiques qui sont dites moins sécuritaires. L’idée était donc de protéger nos membres et leurs confidentialités.
Dernièrement, c’est vrai que certain.e.s membres se sont senties plus « empowered » [valorisé.es, outillé.es] par la création de ce collectif. Pour ma part, j’ai accepté de partager mon expérience sur la place publique quant à mon expérience en tant que travailleuse du sexe. Nous avions été invité.e.s à l’évènement Chez Stiletto organisé par l’équipe de Chez Stella[4]. J’ai décidé d’y partager mon expérience justement car je me sentais plus forte là-dedans et je me sentais un peu plus loin de certains de mes enjeux quant à l’usage de substances et à mon expérience avec la Protection de la Jeunesse. Ça a donc été une réelle occasion pour moi de me livrer sur les enjeux spécifiques que les travailleuses du sexe autochtones vivent mais aussi de participer à briser le stigma qui est souvent attaché à ça.
Par contre ce processus n’est vraiment pas une obligation pour nos membres. La confidentialité de tou.te.s est notre priorité. Je pense que c’est vraiment important d’y aller au rythme de chacun.e mais je crois aussi qu’il est capital d’informer le grand public, monsieur et madame tout-le-monde qui ont souvent des préjugés qui amplifient les discriminations et la stigmatisation envers les travailleuses du sexe autochtones.
Je rajouterai aussi que les prises de parole publiques, c’est relativement courant dans les espaces militants. Mais de mon côté, en tant que membre de la communauté, artiste mais aussi travailleuse du sexe, la prise de parole ne rime pas nécessairement avec parler. C’est aussi performer, danser, en dansant on raconte notre histoire. Lorsque l’on parle de décolonisation et d’autochtonisation, c’est aussi ça. On peut prendre la parole sans nécessairement aller raconter notre histoire et tous nos problèmes pour revendiquer. Je pense que les contextes autochtones permettent d’envisager d’autres pistes de parole. C’est tout autant valide.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Ce qui semble transparaitre de vos réponses c’est que le collectif permet de valoriser vos expériences respectives entre vous mais aussi que vous pouvez par là-même vous épauler. La prise de parole n’étant que secondaire, notamment dans le cadre de partenariats, comment est-ce que ces collaborations se tissent et se déroulent, notamment quant aux liens de confiance nécessaire afin que ça se fasse ?
Layla – Lorsque l’on se rend dans des espaces dédiés à la lutte pour les droits des travailleuses du sexe, il est certain que les personnes sont souvent intéressées, veulent en savoir plus sur notre collectif, etc. Je pense que c’est souvent la première fois qu’iels entendent parler d’un collectif d’artistes travailleuses du sexe autochtones. Ça se fait donc de manière très naturelle, lorsque les personnes sont intéressées, on peut plus facilement répondre à leurs questions. Cela nous permet ensuite d’avoir une plus grande visibilité grâce au bouche à oreille et d’envisager d’autres partenariats et collaborations qui se feront de manière encore plus fluide.
Anita – J’aimerais faire du pouce sur ce que tu dis. Car en effet je ne pense pas que pour notre collectif ce n’est pas important la prise de parole publique, d’utiliser le témoignage ou comme Layla le disait, d’utiliser la performance, le chant, la danse pour pouvoir passer un message… Mais j’aimerais aussi clarifier le fait que c’est aussi à cause de nos capacités comme collectif qu’on est en mesure de décider où et quand on souhaite le faire. Notamment quand on pense aux risques potentiels de témoigner. Ce n’est pas qu’on considère que le témoignage n’est pas essentiel dans la lutte, c’est juste que des fois il faut vraiment faire des choix quant à notre sécurité. Personnellement, j’ai fait beaucoup de médias dans le passé et mes enfants ont été vraiment impacté.e.s par les prises de parole publiques que j’ai faites. Plus récemment, dans les derniers événements auxquels on a participé, oui par moment il y a un témoignage personnel – c’est aussi un par et pour, donc les gens peuvent faire l’addition – mais on a ouvert des rassemblements avec un partage, une chanson au tambour, Layla a performé en utilisant les danses qu’elle connait, et on a vraiment mis ça de l’avant. Et aujourd’hui, le fait d’échanger avec Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures, c’est aussi une manière de dire que « Oui, on veut prendre plus de place et être visibles », mais dans une façon qui nous garde en sécurité, notamment au niveau de la confidentialité pour notre gang.
En termes de collaborations et de partenariats, on s’est affiliés rapidement avec des groupes qui sont « like-minded » [cohérents] avec nos valeurs, qui sont communes à nos projets. On est soutenu.e.s notamment par l’Alliance noire et autochtone en réduction des méfaits[5], dont je suis membre. Tout ça permet qu’ISWAC soit en-dessous du grand parapluie de nos différents projets. On est soutenu.e.s aussi occasionnellement par certains organismes en réduction des méfaits et la santé sexuelle pour soutenir certains de nos projets. Je pense notamment au Cedar Tea Project[6], qui était un programme de travail de rue qui employait des personnes de notre milieu, des ami.e.s et nos familles. Évidement je pense également au CATS-SWAC qui nous invite dans différents événements et je pense que ces occasions sont importantes car l’une des affaires importantes pour nous est l’autonomie dans nos actions. C’est sûr et certain que l’on ne prendrait pas de subvention du gouvernement, mais du financement d’autres collectifs cohérents avec nos valeurs ça pourrait être intéressant. Dans ce sens, étant donné que je connais Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures depuis plusieurs années, et que j’apprécie les outils que vous développez, je pense que cet échange est une bonne occasion pour rapprocher nos liens.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Merci beaucoup pour vos réponses ! Pour approcher un enjeu très actuel, quel est votre regard sur le contexte pandémique actuel, les contacts de proximité, la santé, le quotidien, entre autres, sont bouleversés. Comment avez-vous maintenu vos actions, et surtout, quels ont été les impacts sur celles-ci ?
Anita – Au début de la pandémie, évidemment, avec le confinement, tout le monde était pas mal isolé.e.s. Puis évidemment, nous avions tou.te.s des besoins de soutien ce qui nous a mené à créer une levée de fonds sur quelques mois et qui a permis à ce moment-là d’élargir un peu nos antennes afin de se mettre en contact avec différentes personnes de plusieurs communautés. À ce moment-ci je pense que Layla n’était pas dans la même région qu’aujourd’hui, on avait des ami.e.s en lien avec des gens sur la Côte Nord, on avait des gens en Abitibi, d’autres autour de Montréal / Tiohtià:ke, ce qui a fait qu’on a pu soutenir différentes personnes pour donner un petit coup de pouce. Ça ne pouvait évidemment pas couvrir l’entièreté des besoins des personnes, mais pour les travailleuses du sexe indépendamment de la gestion de tes revenus, leurs déclarations ou non et d’où tu t’en va dans la vie, je te dirais que pour certaines c’était difficile d’accéder au financement de soutien du gouvernement. Pour nous ça a été un moment permettant de consolider nos liens avec d’autres collectifs pas forcément présent.e.s dans la région de Montréal / Tiohtià:ke mais aussi ailleurs dans le coin d’Ottawa et Toronto. Tout cela permettait alors de mettre nos ressources en commun et de les partager. Ça c’était un de nos efforts pour s’assurer qu’on avait un peu de sous car c’était vraiment difficile de travailler pendant ce temps-là.
Layla – Il me parait important de souligner qu’Anita a très bien répondue à la question et que le soutien dont elle parle a vraiment sauvé beaucoup de monde je dirais dans des grands moments de vulnérabilité où c’était extrêmement difficile. À l’époque j’étais plus à Val d’Or lors que la levée de fonds a eu lieu, ce qui a permis, notamment pour les personnes les plus peureuses du Covid et qui ne voulaient pas nécessairement travailler, de pouvoir survivre pendant un moment. Malgré ça, il arrive encore maintenant qu’on me demande s’il reste des fonds supplémentaires, donc on essaye de se soutenir à un niveau plus « grassroots » et je pense que c’est plutôt apprécié que de traiter avec le gouvernement, d’avoir la reddition de comptes et les tâches administratives qui sont liées à ça.
Anita – Finalement, il ne faudrait pas oublier que dans les personnes qui forment notre collectif, on vient de différents horizons avec diverses occupations et on est impliqué.e.s dans plusieurs secteurs du milieu communautaire. Tout ça fait en sorte que pendant le Covid, certain.e.s d’entre nous, qui font partie du collectif ont cocréée d’autres espaces de soutien, notamment en ligne, qui s’adressaient mensuellement aux travailleuses et travailleurs de première ligne mais c’était co-géré par deux travailleuses du sexe autochtones, ce n’était pas tout le monde qui le savait. On n’a pas toujours mis de l’avant notre collectif lorsque nous menions des actions, même si, nous étions là.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – C’est vraiment passionnant ! En tant que collectif artistique et militant vous avez une et des voix sur le travail du sexe. Dans ce sens, quelle est votre relation avec le milieu académique ? Plus précisément, comment percevez-vous le fait qu’un groupe universitaire de recherche-action, constitué de personnes allochtones, vous approche pour une entrevue ?
Anita – Je pense avoir déjà répondu sur mon point de vue personnel dans ma réponse précédente, notamment car comme je l’ai dit j’ai déjà collaboré avec Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures, depuis un moment, autour du travail du sexe particulièrement. Même si c’est un groupe allochtone, c’est quand même un groupe solide, avec une bonne éthique. Lorsque nous avons commencé à discuter de cet entretien j’ai donc contacté le collectif pour savoir si ça nous intéressait mais évidemment que c’est important de s’assurer que les chercheurs, chercheuses du milieu académique se font pas nécessairement une carrière sur le dos, par exemple, des travailleuses du sexe, dans ce cas-ci des travailleuses du sexe autochtones – n’étant en plus pas autochtones. De là, aller chercher une collaboration ou mener une recherche-action ensemble nécessiterait de s’assurer que notre monde est reconnu, potentiellement peut-être payé, et que la communauté ait aussi vraiment un retour. Mais je pense qu’en général, on accueille ouvertement quand les allié.e.s nous contactent, c’est important de créer des liens. Mais il faut juste faire attention à ne pas s’approprier le savoir des personnes, mais je pense que je n’ai pas besoin d’épiloguer là-dessus…
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Tout-à-fait ! Sur votre site internet, il y a une citation qui précise : « It’s also important to note that a lot of Indigenous organisations are not supportive of sex workers’ battle for their rights, and mostly advocate from a narrow perspective of understanding prostitution as inherently violent. » Est-ce que vous avez observez des changements depuis la création de votre collectif, au sein de vos communautés autochtones, notamment en termes de sensibilisation, d’éducation, ou au moins de discussions entamées ?
Anita – Comme vous le savez, avec l’ISWAC, on a préféré rester discrèt.e.s pour pouvoir se soutenir en tant que groupe premièrement. C’est notre but. On n’a pas, comme collectif, eu une présence visible avec les organismes autochtones à Montréal / Tiohtià:ke pour venir faire de la sensibilisation ou quoi que ce soit. Je pense qu’à plusieurs niveaux il y a différentes problématiques dans les organisations autochtones et non-autochtones en termes de reconnaissance et de respect des personnes travailleuses du sexe mais aussi celles qui consomment des substances. Il y aurait des politiques à changer ça c’est sur ; au niveau de l’accessibilité et du traitement des personnes. Je pense également à la visibilité des services. Au sein de ces organismes, par exemple, une campagne visuelle sur le travail du sexe au centre d’amitié autochtone, ou une campagne contre la violence faite aux femmes autochtones au sein de groupes de travailleuses du sexe non-autochtones. Il y aurait des grands besoins ici et là.
Ce que je peux dire à mon niveau, comme membre du collectif et aussi comme travailleuse communautaire, mes liens avec les personnes sont souvent avec les individus et rarement avec le groupe ou l’organisation. Par exemple, je pense qu’avec certaines personnes qui travaillent au sein de nos différentes communautés, nos liens se sont resserrés. Par moment ça a permis aux personnes de poser des questions. L’idée c’est qu’on ait des conversations, sur l’exploitation, qu’on ait des questions sur les conditions de travail… Tout ça ouvre sur différentes questions mais on est loin encore.
ISWAC est un petit collectif et nous avons vraiment envie cette année de travailler à performer dans la place publique et de l’utiliser comme témoignage. Tout ça va surement inspirer les groupes et les personnes qui travaillent au sein des groupes. Mais c’est sûr que la posture de décriminalisation du travail du sexe, de donner des droits aux travailleuses et travailleurs du sexe et de considérer le travail du sexe comme un travail, dans plusieurs communautés autochtones ou non-autochtones, ce n’est pas encore la norme… Par exemple, le milieu du VIH est très ouvert mais d’autres milieux sont très fermés. Je ne suis pas certaine qu’on ait eu cet impact-là au sein des organisations mais je sais qu’on a des impacts sur les individus, y compris des personnes autochtones qui sont dans l’industrie et qui pourraient ou qui peuvent nous contacter avec différents besoins. Je pense que plus on va prendre de l’espace, plus les conversations vont se déployer.
Évidemment moi je rêve de voir une campagne, visuelle, vraiment intense, au niveau du travail du sexe et de l’identité autochtone. J’ai vu que pour la première fois Femmes Autochtones du Québec[7] vont engager quelqu’un pour parler de prostitution afin de faire une collecte de données au sein des communautés autochtones au Québec, j’ai donc hâte de voir ça. Mais je note que le terme travail du sexe n’était pas mentionné dans le titre qui était plus centré sur le continuum prostitution/exploitation/traite des personnes… Évidemment, quand ça commence comme ça, c’est déjà super limité mais en même temps, nous, quand on s’est nommé.e.s ISWAC il y a plusieurs personnes qui ne se reconnaissent pas dans le terme travail du sexe donc les enjeux sont multiples.
En même temps le discours est très fort dans la direction de l’exploitation auprès des communautés autochtones, il y a beaucoup de campagnes par rapport au trafic humain et donc ça fait en sorte que notamment lorsque l’on a invité des gens à traverser un territoire pour venir à notre retraite, les personnes avaient peur qu’on veuille les « pimper » . Donc c’est sûr que le discours qui est simplement sur l’exploitation il fait très peur et il nous met même un frein à s’organiser. Par exemple lorsque l’on parle du transport des travailleuses du sexe, ça nous amène au trafic et à l’exploitation selon la loi. On a donc eu certaines barrières dans la mobilisation à cause des croyances des personnes. Parce qu’il y a quand même beaucoup de formations dans les communautés sur ces sujets-là – les communautés ne diraient surement pas encore assez – mais… Tout ça fait en sorte qu’à un moment donné les gens, peut-être, avaient peur de nous. Donc il y a des gens qui sont vraiment contents qu’on existe et d’autres qui avaient peur et n’étaient pas rassurées. Il y a donc encore du long chemin à faire. Je ne pense pas qu’ISWAC va faire ça tout seul. Il s’agira de créer des relations, des collaborations, des momentum artistiques où il est possible de co-créer ensemble et avoir une visibilité.
Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures – Clairement ! Tout ça nous fait réaliser à quel point ces barrières systémiques dans les discours, dans la vision, impactent la société, mais les personnes elles-mêmes aussi ! On pourrait conclure sur un point que tu as déjà abordé. À savoir, quels sont vos rêves et vos aspirations pour le futur en tant que collectif, qu’est-ce que vous aimeriez partager à notre lectorat ?
Anita – Ah ! Je (re)dirai qu’il est très important pour nous de mettre de l’avant la performance à différents niveaux, notamment comme témoignage et une forme de prise de parole publique. Dans le fond, on a toujours été et on est toujours un collectif qui espère rester dans la création et je pense que c’est un bon momentum qu’on a présentement. C’est sûr que peut être qu’un jour je souhaiterais que notre collectif soit partie intégrante ou une bretelle d’autres organisations de travailleuses du sexe qui existent où qu’on puisse se regrouper à la grandeur de Turtle Island, différents groupes de travailleuses du sexe autochtones. J’aimerai aussi beaucoup organiser une nouvelle retraite en nature, ça c’est sûr ! Et finalement, voir la décriminalisation du travail du sexe, « of course » comme premier pas vers l’amélioration de nos vies. Mais c’est sûr que si on décriminalise le travail du sexe demain, le racisme continue d’exister, la pauvreté aussi, donc c’est un pas en avant, mais on aimerait le voir !
L’équipe de Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures remercie Anita et Layla pour leur temps et leurs mots si précieux ! Nous avons demandé au collectif de nous partager leurs recommandations de lecture pour aller plus loin dans la réflexion.
Un excellent article écrit par Adrienne Huard et Jacqueline Pelland intitulé Sexual sovereignty abordant le lien intime entre corps autochtones et territoire à travers une approche de réduction des méfaits favorisant l’émancipation et la résistance aux violences coloniales par et pour les personnes pratiquant le travail du sexe.
De plus, iels vous encourage à visitez le site Indigenous Sex Sovereignty Collective qui promeut l’organisation non-violente en mettant de l’avant les voix des personnes autochtones trans et bispirituelles qui échangent ou vendent des services sexuels.
[1] En français, on préféra cette traduction transmise par le collectif : Collectif Autochtone d’Art et de Travail du Sexe.
[2] Le QIPRG / GRIP est une organisation sans but lucratif, gérée par des étudiant.e.s, qui unit les communautés de McGill et de Montréal / Tiohtià:ke dans la lutte pour la justice sociale et environnementale par la recherche, l’éducation et l’action. Plus d’informations sur Facebook et Instagram.
[3] « Le CATS est un projet d’organisation politique autonome de travailleuse.eur.s du sexe basé à Montréal ayant pour but de revendiquer la décriminalisation du travail du sexe et plus largement, de meilleures conditions de travail. » Plus d’informations sur Facebook, Instagram, consultez également leur lettre ouverte et leur dernier zine.
[4] Stella, l’amie de Maimie est une des partenaires communautaires de l’équipe Cultures du Témoignage | Testimonial Cultures. « Stella a pour but d’améliorer la qualité de vie des travailleuses du sexe, de sensibiliser et d’éduquer l’ensemble de la société aux différentes formes et réalités du travail du sexe afin que les travailleuses du sexe aient les mêmes droits à la santé et à la sécurité que le reste de la population. » Description rapide de Stella. Plus d’informations sur Facebook et leur site internet.
[5] « L’Alliance des personnes noires et autochtones pour la réduction des risques est un groupe de travailleuses communautaires riches en expériences diverses dont l’objectif est de promouvoir l’accès à l’autodétermination et à des services de santé holistiques au sein de nos communautés. » Source et plus d’informations sur le site internet de l’Alliance.
[6] Plus de références sur Facebook et le site de l’Alliance des personnes noires et autochtones en réduction des risques.
[7] « Fondée en 1974, Femmes Autochtones du Québec Inc. (FAQ) représente les femmes des Premières Nations du Québec ainsi que les femmes autochtones qui vivent en milieu urbain. FAQ siège à l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, au conseil d’administration des Services para-judiciaires autochtones du Québec et sur plusieurs autres commissions et comités autochtones et non autochtones. » Source et plus d’informations sur le site internet.