Partager
lire plus

Les travailleurs et travailleuses du sexe n’ont pas une grande place pour prendre la parole et parler de leurs réalités. Bien que les usages et les pratiques du témoignage soient nombreux et divers et la définition du témoignage ne fasse pas l’unanimité à travers les différents groupes et organismes, le dévoilement public permet généralement d’attester de conditions de travail et de vie, d’établir des alliances et de se regrouper pour partager des stratégies, et militer ensemble. Dans le contexte actuel de criminalisation de l’achat et de la publicité de services sexuels, c’est par le récit des effets de ces lois sur leur sécurité et leur dignité que les travailleuses du sexe peuvent arriver à se faire entendre.

Comité de travail

Le comité de travail sur le témoignage des personnes ayant une expérience de travail du sexe s’intéresse particulièrement au développement d’outils d’éducation et de mobilisation qui peuvent contrer la stigmatisation à l’endroit des travailleuses et des travailleurs du sexe. L’organisation d’ateliers pratiques sur les dimensions personnelles, éducatives et politiques du témoignage ainsi qu’un repérage de films et de vidéos menant à la production d’une compilation de témoignages vidéo ont également fait partie des activités du comité.

La concurrence des témoignages : Un défi majeur

Les témoignages des personnes ayant une expérience du travail du sexe évoluent dans un contexte de concurrence où un grand nombre d’histoires de « survivantes » prédomine et circule dans les médias pour promouvoir la criminalisation et la prohibition de la « prostitution ». Ces histoires s’opposent à celles recueillies par les quelques groupes par et pour de travailleuses et travailleurs du sexe comme chez Stella, un partenaire au sein du projet Cultures du témoignage, qui vise l’autodétermination et la décriminalisation totale.

Aussi, les récits des travailleuses et travailleurs du sexe sont souvent repris hors contexte pour créer du sensationnalisme. Leurs témoignages peuvent être utilisés pour renforcer des fausses corrélations entre le travail du sexe et divers problèmes de santé mentale, de consommation de drogues et d’alcool, de violence ou d’abus sexuel durant l’enfance. La présomption récurrente que de tels problèmes sont automatiquement et nécessairement causés par l’exercice d’un travail du sexe pose un défi majeur aux militantes qui visent à déconstruire ces liens.

Les risques et les avantages du récit au « je » : stratégies de dévoilement public

Plusieurs groupes communautaires qui rejoignent les personnes ayant une expérience de travail du sexe ont participé à des discussions dans le cadre des activités du projet Cultures du témoignage et notamment lors d’une journée d’étude réalisée en novembre 2012. Ces discussions ont porté sur les divers objectifs et expériences de témoignage ainsi que sur ses conditions de production. L’usage du récit au « je » et les différentes stratégies de dévoilement faisaient partie des points majeurs qui ont été abordés.

Lors de ces discussions, les participants ont noté qu’en étant personnel, le « je » amène une certaine crédibilité. Il permet de déconstruire les stéréotypes en mettant un visage sur une réalité différente de celle qu’on imaginait. Toutefois, le « je » implique un seul individu et peut amener aussi un sentiment de solitude et de vulnérabilité. C’est pourquoi certaines personnes témoins préfèrent parler au « nous »; le récit au « nous » rappelle qu’il y a toute une communauté derrière l’individu qui parle. D’autres s’expriment à titre de militant.e ou d’activiste pour ne pas dévoiler leur expérience personnelle tout en faisant avancer la cause. Une autre stratégie est aussi de laisser le doute planer : on ne se dévoile pas, mais on ne se cache pas non plus.

Prendre la parole! : Un atelier-formation sur le travail du sexe et les relations avec les médias

La décision de la Cour Suprême du Canada en 2013 invalidant trois articles de loi en lien avec le travail du sexe et l’entrée en vigueur en 2015 d’une nouvelle loi canadienne qui rend illégaux, entre autres, l’achat et la publicité de services sexuels, ont occasionné une visibilité médiatique à l’industrie du sexe, et donc à différents discours et débats l’entourant. C’est dans un tel contexte que les membres du comité de travail sur le témoignage des personnes avec une expérience de travail du sexe ont donné un atelier-formation avec plusieurs collaboratrices pour répondre à un besoin émergent : outiller les travailleuses et travailleurs francophones dans leurs interventions auprès des médias.

Deux ateliers-formations ont été conçus. Le 20 février 2014, 17 personnes se sont présentées à l’atelier qui incluait des jeux de rôles avec un « faux journaliste ». L’atelier-formation s’est largement inspiré de notre traduction du document Speak-Up ! : Guide to Strategic Media Tools and Tactics to Amplify the Voices of People in the Sex Trades conçu par le Red Umbrella Project, un organisme newyorkais ayant pour mandat l’amplification des voix de personnes œuvrant dans l’industrie du sexe. Traduit sous le titre de Prendre la parole ! : Un guide stratégique pour amplifier les voix des travailleuses et des travailleurs du sexe dans les médias, le document offre de l’information, de techniques et de stratégies permettant d’interagir avec les médias. Le second atelier s’est déroulé un an plus tard, en 2015, et a réuni toutes les employées de l’organisme Stella, prêtes à communiquer avec les médias.

La liste de mauvais clients et agresseurs

À partir d’un formulaire permettant aux travailleuses du sexe de donner une description physique et d’autres informations dans le but de prévenir leurs collègues des agresseurs, l’organisme Stella dresse une liste des « mauvais clients et agresseurs ». Ce partage de témoignages anonymes rapporte également des incidents vécus par toutes les travailleuses du sexe, incluant les escortes, les travailleuses du sexe de rue, les masseuses ou encore les danseuses nues. Ne se retrouvant pas sur des sites Internet ni disponible par consultation par le grand public, elle est transmise à quelques 600 travailleuses et plus de 200 organismes chaque mois depuis maintenant 16 ans. Servant comme « système de communication à l’interne et d’autoprotection », la liste permet de créer des liens solidaires entre les travailleuses du sexe et ce dans un environnement où les travailleuses du sexe peuvent parler entre elles sans nécessairement parler aux policiers. Ceci étant un facteur important dans le contexte de criminalisation de leur industrie.

La revue ConStellation

Publiée depuis 1996, la revue ConStellation est une tribune sans censure et bilingue offerte par les travailleuses du sexe.  Dans ses pages, on trouve des diverses perspectives, des témoignages, des analyses, des critiques littéraires et cinématographiques, des jeux, de la poésie et des anecdotes – tout sur le travail du sexe. Chaque édition est thématique. En 2008, le numéro spécial de ConStellation réalisé pour le 16e Congrès international sur le sida se voyait décerner un Prix Grafika.

Projet Sensibilisation XXX Awareness

Ce projet de sensibilisation des publics (2011-2012) visait à soutenir l’intégration sociale des personnes travailleuses du sexe, à enrichir les connaissances de divers publics et à contribuer au développement des pratiques d’intervention des services publics. La programmation de Sensibilisation XXX Awareness comprenait la publication d’une anthologie francophone de textes sur le travail du sexe, écrits par des personnes exerçant ce métier et leurs alliées; l’offre de formations de démystification du travail du sexe adaptées à des publics cibles; la formation de formatrices issues du milieu des personnes travailleuses du sexe; et la création d’outils pédagogiques. Ces activités ont permis à des centaines d’individus et de groupes de mieux comprendre collectivement les enjeux entourant le travail du sexe et de consolider des liens de collaboration.