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Une culture du témoignage existe chez les personnes qui ont une expérience du travail du sexe, mais celle-ci se résume souvent par l’expression « tragédie porn » qui produit un sentiment de pitié chez l’auditoire. Ainsi, les travailleurs et travailleuses du sexe n’ont pas une grande place pour prendre la parole et parler de leurs réalités objectives. Bien que les usages et les pratiques du témoignage soient nombreux et divers et que la définition du témoignage ne fasse pas l’unanimité à travers les différents groupes et organismes, le dévoilement public permet généralement d’attester de conditions de travail et de vie, d’établir des alliances et de se regrouper pour partager des stratégies, et militer ensemble. 

Dans le contexte actuel de criminalisation de l’achat et de la publicité de services sexuels, c’est par le récit des effets de ces lois sur leur sécurité et leur dignité que les travailleuses du sexe peuvent arriver à se faire entendre.

Défis : Concurrence des témoignages et le déficit de crédibilité

Les témoignages des personnes ayant une expérience du travail du sexe évoluent dans un contexte de concurrence où un grand nombre d’histoires de « survivantes » prédomine et circule dans les médias pour promouvoir la criminalisation et la prohibition de la « prostitution ». Ces histoires s’opposent à celles recueillies par les quelques groupes par et pour les travailleuses et travailleurs du sexe, comme Stella l’amie de Maimie qui vise l’autodétermination et la décriminalisation totale.

Aussi, les récits des travailleuses et travailleurs du sexe sont souvent repris hors contexte pour créer du sensationnalisme. Leurs témoignages peuvent être utilisés pour renforcer des fausses corrélations entre le travail du sexe et divers problèmes de santé mentale, de consommation de drogues et d’alcool, de violence ou d’abus sexuel durant l’enfance. La présomption récurrente que de tels problèmes sont automatiquement et nécessairement causés par l’exercice d’un travail du sexe pose un défi majeur aux militantes qui visent à déconstruire ces liens.

Par ailleurs, les risques associés aux récits à la première personne résultent pour les travailleuses du sexe qu’elles développent des stratégies de dévoilement public. Pour certaines, parler au « je » leur apporte une certaine crédibilité. En mettant un visage sur une réalité différente de celle qu’on imaginait, la prise de parole permet de déconstruire les stéréotypes. Toutefois, l’usage du « je » implique un seul individu et peut amener un sentiment de solitude et de vulnérabilité. C’est pourquoi certaines personnes témoins préfèrent parler au « nous ». Le récit au « nous » rappelle qu’il y a toute une communauté derrière l’individu qui parle. D’autres s’expriment à titre de militante ou d’activiste pour ne pas dévoiler leur expérience personnelle tout en faisant avancer la cause. Une autre stratégie est aussi de laisser le doute planer : on ne se dévoile pas, mais on ne se cache pas non plus.

En pratique : La liste de mauvais clients et agresseurs de Stella 

À partir d’un formulaire permettant aux travailleuses du sexe de donner une description physique et d’autres informations dans le but de prévenir leurs collègues des agresseurs, l’organisme Stella dresse une liste des « mauvais clients et agresseurs ». Ce partage de témoignages anonymes rapporte également des incidents vécus par toutes les travailleuses du sexe, incluant les escortes, les travailleuses du sexe de rue, les masseuses ou encore les danseuses nues. Ne se retrouvant pas sur des sites Internet ni disponible par consultation par le grand public, elle est transmise à quelques 600 travailleuses et plus de 200 organismes chaque mois. Servant comme « système de communication à l’interne et d’autoprotection », la liste permet de créer des liens solidaires entre les travailleuses du sexe et ce dans un environnement où les travailleuses du sexe peuvent parler entre elles sans nécessairement parler aux policiers. Cela étant un facteur important de protection dans un contexte de criminalisation.


Recherches-actions antérieures
Décriminalisation, travail du sexe et les relations avec les médias

La décision de la Cour Suprême du Canada en 2013 invalidant trois articles de loi en lien avec le travail du sexe et l’entrée en vigueur en 2015 d’une nouvelle loi canadienne qui rend illégaux, entre autres, l’achat et la publicité de services sexuels, ont occasionné une visibilité médiatique à l’industrie du sexe, et donc à différents discours et débats l’entourant. C’est dans un tel contexte que nous avons élaboré un atelier-formation avec plusieurs collaboratrices pour répondre à un besoin émergent : outiller les travailleuses et travailleurs francophones dans leurs interventions auprès des médias. Le document Prendre la parole ! : Un guide stratégique pour amplifier les voix des travailleuses et des travailleurs du sexe dans les médias présente de l’information, des techniques et des stratégies permettant d’interagir avec les médias. 

Sensibilisation XXX Awareness

Ce projet de sensibilisation des publics (2011-2012) visait à soutenir l’intégration sociale des personnes travailleuses du sexe, à enrichir les connaissances de divers publics et à contribuer au développement des pratiques d’intervention des services publics. La programmation de Sensibilisation XXX Awareness comprenait la publication d’une anthologie francophone de textes sur le travail du sexe, écrits par des personnes exerçant ce métier et leurs alliées ; l’offre de formations de démystification du travail du sexe adaptées à des publics cibles; la formation de formatrices issues du milieu des personnes travailleuses du sexe; et la création d’outils pédagogiques. Ces activités ont permis à des centaines d’individus et de groupes de mieux comprendre collectivement les enjeux entourant le travail du sexe et de consolider des liens de collaboration.